13
CONFESSIONS
Le spectacle d’Edward au soleil était choquant. Je ne parvenais pas à m’y habituer, bien que je l’aie eu sous les yeux tout l’après-midi. Sa peau, blanche en dépit d’une vague rougeur due à sa partie de chasse de la veille, flamboyait littéralement, comme si des millions de minuscules diamants y avaient été incrustés. Il était allongé dans l’herbe, totalement immobile, chemise ouverte sur son torse sculptural enivrant, ses bras nus chatoyants. Ses paupières couleur lavande étaient fermées, même s’il ne dormait pas, naturellement. Il était une statue parfaite, travaillée dans un matériau inconnu lisse comme le marbre et scintillant comme le cristal. Parfois, ses lèvres bougeaient, si vite qu’on eût dit qu’elles tremblaient. Lorsque je lui posai la question, il me répondit qu’il chantait ; trop bas pour que je l’entendisse.
Moi aussi, je profitai du beau temps, bien qu’il ne fît pas assez sec à mon goût. À l’instar d’Edward, j’aurais aimé m’étendre et laisser le soleil réchauffer ma peau. Au lieu de quoi, je me contentai de me pelotonner en chien de fusil pour l’observer, insatiable. La brise était douce, emmêlant mes cheveux et ébouriffant l’herbe qui s’agitait autour de sa silhouette figée.
La clairière, si spectaculaire au premier abord, pâlissait devant tant de magnificence.
Hésitante, toujours aussi effrayée qu’il disparût tel un mirage tant il était trop beau pour être vrai... hésitante, je tendis un doigt et caressai le dos de sa main étincelante. Une fois encore, je m’émerveillai de la texture sans défaut de sa peau, douce comme du satin, fraîche comme de la pierre. Lorsque je relevai les yeux, les siens me regardaient. Un sourire plissa les commissures de ses lèvres admirables.
— Je ne t’effraie pas ? plaisanta-t-il.
Je sentis pourtant une réelle curiosité derrière le badinage affiché.
— Pas plus que d’habitude.
Son sourire s’élargit, et ses dents miroitèrent au soleil. Je me rapprochai, osant tracer les contours de son avant-bras du bout de mes doigts, qui tremblaient, ce qu’il n’allait sûrement pas manquer de remarquer.
— Je t’embête ? murmurai-je, car il avait refermé les yeux.
— Non. Tu n’imagines pas les sensations que tu me procures.
Je fis courir ma paume légère le long des muscles incomparables de son bras, suivant le réseau bleuâtre des veines au creux de son coude. Mon autre main avait entrepris de retourner la sienne. Devinant mes intentions, il s’exécuta en l’un de ces gestes d’une rapidité aveuglante et déconcertante, et je me figeai.
— Désolé, marmonna-t-il. J’ai tendance à me laisser aller à ma vraie nature, avec toi.
Soulevant son poignet, je l’orientai de-ci de-là afin de voir le soleil ricocher dessus. Je le collai tout près de mon visage, cherchant à distinguer les facettes cachées de son derme.
— Dis-moi à quoi tu penses, murmura-t-il. L’ignorer est si étrange, ajouta-t-il.
— Je te signale que c’est notre lot commun, à nous autres.
— Votre existence est dure. Dis-moi, répéta-t-il.
— Je songeais que j’aurais aimé savoir ce que toi tu pensais...
— Et ?
— Je songeais que j’aurais aimé croire en ta réalité. Et ne pas avoir peur.
— Je ne veux pas que tu aies peur.
Son chuchotement taisait ce qu’il ne pouvait affirmer avec certitude – que je n’avais rien à craindre.
— Pour être exacte, la peur en elle-même ne me préoccupe pas tant que ça. Bien qu’elle ne soit pas négligeable.
Trop vite pour mes pauvres yeux d’humaine, il se releva à demi, s’accouda sur son bras droit, sa paume gauche toujours dans mes mains. Son visage d’ange n’était qu’à quelques centimètres du mien. J’aurais pu – j’aurais dû – reculer devant cette soudaine proximité, sauf que j’étais incapable de bouger, hypnotisée par ses prunelles dorées.
— Que crains-tu ?
Une question à laquelle il me fut impossible de répondre. Car, pour la seconde fois depuis que je le connaissais, je humai son haleine. Une odeur fraîche et sucrée, délicieuse et unique, qui me mit l’eau à la bouche. Instinctivement, je me penchai, inhalant à plein nez. Alors, il s’échappa. Le temps que je reprenne mes esprits, il se tenait à dix mètres de moi, au bord de la clairière, dans la pénombre d’un énorme sapin. Il me fixait de ses iris sombres, arborant une expression énigmatique. J’étais blessée, secouée, et mes doigts vides brûlaient.
— Excuse-moi, dis-je tout bas, sachant qu’il m’entendrait.
— Donne-moi juste un moment.
J’attendis, immobile. Au bout de quelques secondes incroyablement longues, il revint, lentement pour lui. Il s’arrêta à quelques pas de moi et s’assit gracieusement en tailleur. Son regard était vrillé au mien. Il inspira profondément.
— Désolé, marmonna-t-il avec un sourire hésitant. Comprendrais-tu si je te disais n’être qu’un homme ?
J’acquiesçai aussitôt, mais sa plaisanterie ne me dérida pas. L’adrénaline envahit mes veines au fur et à mesure que le danger s’imposait à ma conscience. Il le flaira sans peine, et sa moue devint narquoise.
— Je suis le meilleur prédateur au monde, n’est-ce pas ? Tout en moi t’attire – ma voix, mes traits, mon odeur. Comme si j’avais besoin de ça !
Brusquement, il se remit debout et disparut d’un bond pour réapparaître sous le même arbre qu’auparavant. Il avait fait le tour de la clairière en moins d’une seconde.
— Tu ne pourrais pas m’échapper ! s’esclaffa-t-il avec amertume.
Il arracha au sapin une branche de cinquante centimètres de diamètre – le bruit fut assourdissant, le geste facile – et joua avec pendant un instant avant de la jeter à une vitesse effarante contre le tronc d’un autre arbre énorme, où elle explosa. Puis, il fut de nouveau devant moi, aussi figé qu’un roc.
— Tu ne pourrais pas me résister, murmura-t-il.
Je n’avais pas bronché, effrayée pour de bon. C’était la première fois que je voyais tomber sa façade soigneusement cultivée ; jamais il n’avait été aussi peu humain, ni plus beau. Hébétée, stupéfiée, j’étais un oiseau pris au piège d’un serpent. Ses yeux magnifiques semblaient briller d’une âpre excitation. Ils se ternirent peu à peu, et son visage retrouva le masque de tristesse qui était le sien d’ordinaire.
— N’aie pas peur, chuchota-t-il, ses intonations veloutées volontairement séductrices. Je te promets... Je te jure de ne jamais te faire de mal.
J’eus l’impression qu’il cherchait à s’en convaincre lui-même.
— N’aie pas peur, répéta-t-il en se rapprochant avec une lenteur exagérée.
Dans un mouvement délibérément mesuré, il se baissa jusqu’à ce que nos yeux fussent à niveau.
— S’il te plaît, pardonne-moi. Je sais me contrôler. Tu m’as pris au dépourvu, c’est tout. Je vais être sage, maintenant.
Il guetta ma réaction ; malheureusement, j’étais incapable de prononcer un mot.
— Je n’ai pas soif, aujourd’hui, insista-t-il en m’adressant un coup d’œil complice.
Je ne pus m’empêcher de rire, un petit son tremblotant et étranglé.
— Ça va aller ?
La tendresse était revenue. Sa main marmoréenne se posa prudemment sur la mienne. Je contemplai sa peau lisse et froide, puis ses pupilles. Elles étaient douces et contrites. Je repris délibérément mes caresses le long des veines de sa main et lui lançai un sourire timide. Celui qu’il me retourna était éblouissant.
— Où en étions-nous, avant que je me comporte aussi mal ?
— Très franchement, j’ai oublié.
Il parut honteux.
— Je crois que nous parlions de ce qui provoquait ta peur, en dehors des raisons évidentes.
— Ah oui.
— Alors ?
Je continuais à dessiner au hasard des tracés sur sa paume iridescente. Les secondes s’écoulèrent.
— La patience n’est pas mon fort, soupira-t-il.
Plongeant dans ses yeux, je compris que tout cela était aussi nouveau pour lui que pour moi. Quelles que fussent ses années d’insondable expérience, c’était dur pour lui également. Cette réaction me donna le courage nécessaire.
— J’ai peur parce que, pour des raisons évidentes, je ne peux pas rester avec toi. Or, j’ai peur d’en avoir envie de manière déraisonnable.
Je ne le regardais plus – il m’était difficile de prononcer ces paroles tout haut.
— Oui, désirer ma compagnie est effectivement effrayant. Et vraiment pas dans ton intérêt. (Je fronçai les sourcils.) J’aurais dû m’éloigner depuis longtemps. Il faudrait que je parte, là, tout de suite. Hélas, je ne suis pas certain d’en avoir la force.
— Je ne veux pas que tu t’en ailles.
— Voilà exactement pourquoi je devrais m’y résoudre. Ne t’inquiète pas, va. Je suis égoïste. Moi aussi, je désire trop ta compagnie pour être raisonnable.
— J’en suis heureuse.
— C’est mal !
Il retira sa main, plus doucement cette fois, même si sa voix était devenue dure (mais tellement plus belle que n’importe quelle voix humaine). Il était ardu à suivre – ses brusques et constantes sautes d’humeur me désarçonnaient.
— Ce n’est pas seulement ta compagnie que je désire, reprit-il. Ne l’oublie jamais. Rappelle-toi que je représente un danger sans égal pour toi, que je suis la menace absolue.
Il s’interrompit. Levant la tête, je m’aperçus qu’il fixait sans la voir la forêt.
— Je ne suis pas certaine de te comprendre.
Il me regarda et, une fois encore, la tendresse reprit le dessus.
— Comment t’expliquer sans t’affoler ?
Sans réfléchir, il replaça sa main entre les miennes ; je la serrai comme un trésor précieux.
— Cette impression de chaleur est étonnamment agréable, commenta-t-il en contemplant nos doigts entrelacés, avant de se concentrer sur ses idées. Bon, reprit-il un peu plus tard, tu sais que les gens n’ont pas les mêmes goûts. Certains aiment la glace au chocolat, d’autres préfèrent la fraise. (J’acquiesçai.) Désolé pour cette comparaison malheureuse, je n’ai pas trouvé mieux. (Nous rîmes.) Tu vois, chacun a une odeur particulière, une essence personnelle. Si tu enfermais un alcoolique repenti dans une pièce pleine de bière frelatée, il réussirait à résister. Mais supposons que tu remplaces la bière éventée par un verre d’un excellent et rarissime cognac, que tu remplisses la pièce de ce seul et puissant arôme de vieux brandy, comment crois-tu qu’il se débrouillerait ?
Nous nous dévisageâmes, comme pour lire les pensées de l’autre. Il fut le premier à briser le silence.
— La métaphore est sûrement mal choisie. Il n’est peut-être pas si difficile de résister au cognac. J’aurais dû prendre un héroïnomane.
— Serais-tu en train de me suggérer que je suis une dose d’héroïne ?
— Exactement.
— Cela arrive-t-il souvent ?
Il réfléchit à ma question en contemplant la cime des arbres.
— J’en ai parlé à mes frères. Pour Jasper, vous êtes interchangeables. Il est le membre le plus récent de notre famille, et son sevrage relève du combat. Il n’a pas encore eu le temps de se sensibiliser aux différentes odeurs et saveurs. Navré...
— Ce n’est rien. Écoute, ne te soucie pas de me choquer ou de m’effrayer. C’est votre mode de fonctionnement, et je peux le comprendre, m’y efforcer du moins. Explique les choses comme elles te viennent.
— Merci. Bref, Jasper n’est pas sûr d’avoir rencontré quelqu’un qui soit aussi... attirant que tu l’es pour moi. Emmett, qui est, si je puis dire, dans le bain depuis plus longtemps m’a compris, lui. Il m’a avoué que ça lui était arrivé deux fois, dont une de manière très puissante.
— Et à toi ?
— Jamais.
Le mot resta suspendu un instant dans la tiédeur ambiante.
— Comment a réagi Emmett ? demandai-je pour rompre le silence.
Mauvaise question visiblement. Le visage d’Edward s’assombrit, sa main dans la mienne se serra en un poing, et il détourna les yeux. J’attendis, mais compris que je n’obtiendrais pas de réponse.
— Je crois deviner, finis-je par murmurer.
Il me regarda, l’air triste et suppliant.
— Même le plus fort d’entre nous a le droit à l’erreur, non ? chuchota-t-il.
— Que veux-tu ? Mon consentement ?
Ma voix avait claqué, plus sèche que je ne l’aurais souhaité. Je tâchai de me contrôler – après tout, pareille franchise devait beaucoup lui coûter.
— Est-ce à dire qu’il n’y a pas d’autre solution ?
La sérénité avec laquelle j’étais en train d’évoquer ma propre mort me confondit.
— Non, non ! s’empressa-t-il d’objecter. Il y en a d’autres, bien sûr. Il est évident que je ne...
Il n’acheva pas sa phrase. Ses yeux brûlants plongèrent dans les miens.
— Nous deux, reprit-il, c’est différent. Pour Emmett, il s’agissait... d’étrangers, croisés au hasard. C’était il y a longtemps, et il n’était pas aussi... entraîné ni aussi prudent qu’aujourd’hui.
Il se tut et me dévisagea intensément tandis que je méditais ces paroles.
— Donc, si nous nous étions rencontrés... dans une allée sombre, je ne sais pas...
— J’ai été contraint de fournir un effort démesuré pour me retenir... au milieu de cette classe pleine d’élèves. Lorsque tu es passée près de moi, j’aurais pu détruire en une fraction de seconde tout ce que Carlisle a bâti. Si je n’avais pas eu l’habitude de lutter contre ma soif depuis... trop longtemps, j’aurais été incapable de résister.
Il me jeta un coup d’œil lugubre. Cet instant n’était que trop vif dans nos mémoires à tous deux.
— Tu as dû te dire que j’étais possédé.
— Je n’ai pas compris cette haine immédiate.
— C’était comme si tu étais une sorte de démon surgi de mon Enfer personnel pour me détruire. L’arôme de ta peau... j’ai cru devenir fou. Durant toute cette heure, j’ai imaginé mille et un stratagèmes pour t’attirer dehors et t’avoir à moi seul. Je les ai combattus un à un en pensant aux miens, aux répercussions éventuelles. Il fallait que je m’enfuie, que je m’éloigne avant de ne pouvoir retenir les mots qui t’auraient incitée à me suivre...
Je chancelai à l’évocation de ce souvenir amer. Ses prunelles dorées lançaient des flammes, hypnotiques et mortelles.
— Tu serais venue, m’assura-t-il.
— Sans doute, acquiesçai-je d’une voix que j’espérai calme.
Sourcillant, il me libéra de la puissance de son regard incandescent.
— Ensuite, enchaîna-t-il, j’ai voulu changer mon emploi du temps afin de t’éviter, et tu étais là, dans ce petit bureau surchauffé, et ton odeur était enivrante. Là aussi, j’ai failli craquer. Il n’y avait qu’un autre humain avec nous, une femme frêle que je n’aurais eu aucun mal à liquider.
Malgré le soleil, je frissonnai. Ce n’était que maintenant que je prenais la mesure des périls auxquels j’avais été exposée. Pauvre Mme Cope. J’avais été si près de provoquer, involontairement, sa mort. J’en tremblai de nouveau.
— Mais j’ai résisté, disait Edward. J’ignore comment. Je me suis forcé à ne pas t’attendre, à ne pas te suivre. Dehors, il m’a été plus facile de réfléchir et de prendre la bonne décision, car je ne sentais plus ta fragrance. J’ai déposé les autres à la maison – j’avais trop honte pour leur confier ma faiblesse. Ils avaient juste deviné que quelque chose de très grave s’était produit – et j’ai foncé droit à l’hôpital pour annoncer à Carlisle que je m’en allais.
Cet aveu me dérouta. Lui sembla contrit, comme s’il venait de confesser une immense lâcheté.
— Nous avons échangé nos voitures, il avait fait le plein de la sienne, et je ne voulais pas m’arrêter. Je n’ai pas osé rentrer affronter Esmé. Elle ne m’aurait pas laissé partir sans une scène, sans essayer de me persuader que c’était inutile... Le lendemain matin, j’étais en Alaska. J’y ai passé deux jours, avec de vieilles connaissances... mais la maison me manquait. Savoir que j’avais meurtri Esmé, les autres, ma famille adoptive, m’était insupportable. Dans l’air pur des montagnes, j’avais du mal à croire que tu sois aussi irrésistible. Je me suis convaincu que fuir était minable. J’avais déjà été tenté, pas avec une telle ampleur, loin de là. J’étais fort. Qui étais-tu, petite fille insignifiante (il eut un grand sourire), pour me chasser de l’endroit où je désirais vivre ? Alors, je suis revenu...
Il s’abîma dans le spectacle de la nature. J’étais muette.
— J’ai pris mes précautions, chassant et mangeant plus que nécessaire avant de te revoir. J’étais certain d’être assez solide pour te traiter comme n’importe quel autre humain. Malheureusement, c’était de l’arrogance. Qui plus est, mon incapacité à lire tes pensées et connaître tes sentiments à mon égard n’a fait que compliquer les choses. Je n’étais pas habitué à recourir à des méthodes aussi retorses, comme de t’espionner à travers Jessica... dont l’esprit n’est pas très original et dont je ne pouvais être certain de la fiabilité. Tout ça était très irritant. J’étais agacé de devoir m’abaisser à ce genre de comportement.
Ce souvenir lui arracha une grimace.
— Je désirais que tu oublies ce fameux jour, et j’ai tenté de te parler comme à n’importe qui. J’avais hâte, même, espérant ainsi réussir à décrypter ton cerveau. Malheureusement, tu étais bien trop passionnante, et je me suis retrouvé pris au piège de tes expressions... aujourd’hui encore, quand tu agites la main ou secoue tes cheveux, ton odeur m’enivre... Après, bien sûr, tu as failli être écrasée sous mes yeux. En mon for intérieur, je me suis inventé une excuse idéale – si je n’étais pas intervenu, ton sang se serait répandu devant moi, et j’aurais été incapable de me contenir, ce qui aurait montré à tous ma vraie nature. Mais ce prétexte ne m’est venu que tardivement. Sur le moment, ma seule pensée a été « pas elle ».
Il ferma les paupières, perdu dans sa douloureuse confession. J’étais attentive, avide, irrationnelle. Le bon sens me susurrait que j’aurais dû être terrifiée. Au lieu de quoi, j’étais soulagée de comprendre, enfin. Surtout, j’étais pleine de compassion pour ce qu’il endurait, alors même qu’il m’avouait être calciné par le désir de m’ôter la vie.
— Et à l’hôpital ? finis-je par réussir à murmurer d’une toute petite voix.
Rouvrant les yeux, il me transperça de son regard.
— J’étais consterné. Je n’arrivais pas à croire que j’avais mis les miens en danger, que je m’étais livré à ton pouvoir, toi parmi tant d’autres. Comme si j’avais eu besoin d’une nouvelle raison de te tuer.
Nous tressaillîmes tous deux lorsque le mot lui échappa.
— Sauf que ça a eu l’effet contraire, s’empressa-t-il de poursuivre. Je me suis battu avec Rosalie, Emmett et Jasper lorsqu’ils ont suggéré que je tenais là une occasion de... Nous ne nous étions encore jamais affrontés aussi violemment. Carlisle s’est rangé de mon côté. Alice aussi. Esmé m’a seulement conseillé d’agir de façon à pouvoir rester parmi eux. (Il secoua la tête avec indulgence.) Le lendemain, toute la journée, j’ai scanné les esprits de ceux à qui tu parlais, et j’ai été choqué de constater que tu tenais parole. Je ne te comprenais pas du tout. Je savais juste qu’il m’était impossible de m’impliquer plus avant avec toi. J’ai fait mon maximum pour m’éloigner. Et chaque jour, le parfum de ta peau, de ton haleine, de tes cheveux... me frappait aussi puissamment que lors de notre première rencontre.
Ses pupilles se tournèrent une nouvelle fois vers moi, étonnamment tendres.
— Paradoxalement, tout aurait été plus facile si je nous avais exposés dès le début en cédant à mes impulsions. Il est trop tard à présent, même là, tout de suite, alors que nous sommes seuls, sans témoins.
J’étais suffisamment humaine pour lui demander pourquoi.
— Isabella...
Il prononça mon nom en entier, soigneusement, puis m’ébouriffa gentiment les cheveux de sa main libre. Un frisson secoua mon corps.
— ... Bella, je ne me supporterais plus si je le faisais. Tu ne devines pas à quel point cela m’a torturé. (Il baissa la tête, de nouveau honteux.) T’imaginer immobile, blanche, froide... ne plus jamais te revoir rougir, ne plus jamais revoir cet éclat d’intuition allumer tes yeux quand tu pressens mes mensonges... ce serait intolérable. Tu es désormais l’élément le plus important de ma vie. De toute ma vie.
J’avais du mal à suivre les méandres de la conversation. Du joyeux sujet de mon imminent décès, nous en étions soudain venus à des déclarations. Il attendait que je réagisse, et j’avais conscience de ses pupilles dorées fixées sur moi.
— Tu sais ce que j’éprouve pour toi, finis-je par confesser à mon tour. Je suis ici... ce qui, en gros, signifie que je préférerais mourir plutôt que de te perdre. Je suis une idiote.
— Tu l’es, admit-il en s’esclaffant sèchement.
Nos regards se rencontrèrent, et je ris aussi. Nous trouvions tous deux ma bêtise et l’improbabilité du moment que nous vivions désopilantes.
— Et le lion s’éprit de l’agneau... murmura-t-il.
Exaltée, je détournai la tête et dissimulai mes yeux.
— Quel imbécile, cet agneau ! soupirai-je.
— Quel fou, ce lion... Quel masochiste...
Il s’abîma dans la contemplation de la forêt ombreuse, entraîné par des pensées secrètes.
— Pourquoi...
Je m’interrompis, hésitant à poursuivre. Il me sourit, et le soleil se refléta sur son visage... et ses dents.
— Oui ?
— Dis-moi pourquoi tu t’es enfui devant moi.
— Je viens de te l’expliquer, rétorqua-t-il en se fermant.
— Non. Je voudrais savoir ce que j’ai fait de mal. Il va falloir que je sois sur mes gardes, dorénavant. Mieux vaut donc que j’apprenne tout de suite les gestes à éviter. Celui-ci, par exemple, ajoutai-je en caressant le dos de sa main, paraît acceptable.
— Tu n’as rien fait de mal, m’assura-t-il en retrouvant son entrain. C’était ma faute, Bella.
— Mais je veux aider à te rendre les choses plus aisées, si c’est possible.
— Eh bien... C’était juste ta proximité. Par instinct, la majorité des humains nous évitent, révulsés par notre étrangeté... Je ne m’attendais pas à ce que tu ne te sauves pas. Et puis, il y avait l’odeur de ta gorge.
Il s’arrêta net, comme s’il craignait de m’avoir choquée.
— Très bien, je la cacherai à partir de maintenant !
Je baissai le menton, histoire de détendre l’atmosphère qui s’était alourdie. Ça fonctionna – il rit.
— Non, vraiment, j’ai surtout été surpris.
Sa main libre se plaça délicatement sur mon cou. Je ne bronchai pas. La froideur de ses doigts me fit vibrer, comme si la nature exigeait que j’eusse peur. Mais, dans le maelström de mes émotions, la peur n’avait pas sa place.
— Tu vois, dit-il, tout va bien.
Mon sang battait dans mes veines, et j’aurais voulu être capable de ralentir sa course, pressentant que cela devait contribuer à compliquer la tâche d’Edward, qui l’entendait sûrement.
— Ces rougeurs sont magnifiques, murmura-t-il.
Doucement, il dégagea son autre main. Les miennes retombèrent, inertes, sur mes genoux. Il effleura ma joue, prit mon visage entre ses doigts de marbre.
— Ne bouge pas, chuchota-t-il.
Pas de danger ! J’étais pétrifiée. Posément, sans jamais me quitter des yeux, il se pencha vers moi. Puis, vif mais caressant, il appuya sa joue glacée contre la courbe de ma gorge. Pour le coup, j’en fus réduite à une immobilité totale. J’écoutai sa respiration mesurée, observant le soleil et le vent qui jouaient dans ses cheveux de cuivre, ce qu’il y avait de plus humain chez lui. Avec une lenteur délibérée, ses mains glissèrent le long de mon cou. Je frissonnai, l’entendis reprendre son souffle, mais il ne s’interrompit pas, et ses doigts légers descendirent sur mes épaules avant de s’arrêter. Son visage se faufila sur le côté, son nez frôla ma clavicule et, enfin, il enfouit sa tête dans ma poitrine, bouleversant de tendresse.
— Ah, soupira-t-il en prêtant l’oreille aux battements de mon cœur.
Je ne sais pas combien de temps nous restâmes ainsi immobiles. Ça me parut des heures. Mon pouls finit par s’apaiser. Edward ne broncha ni ne parla pas tant que dura notre étreinte. Je devinais que, à tout instant, l’effort risquait de se révéler trop éprouvant, et que ma vie pouvait se terminer – si vite que je ne m’en serais sans doute pas rendu compte. Néanmoins, je n’arrivais pas à éprouver de peur. Je ne pensais à rien, si ce n’est à ce premier contact intime.
Puis, trop tôt à mon goût, il me relâcha. Ses yeux étaient paisibles.
— Ce ne sera plus aussi dur, annonça-t-il, satisfait.
— Est-ce que ça l’a été ?
— Pas autant que je l’aurais cru. Et pour toi ?
— Non. Pour moi... non.
Mon inflexion le fit sourire.
— Tiens, dit-il en prenant ma main pour la placer contre sa joue. Tu sens comme elle s’est réchauffée ?
Sa peau ordinairement gelée était presque tiède, en effet. Je m’y intéressai cependant à peine, car j’étais en train de toucher son visage, quelque chose dont j’avais rêvé depuis notre rencontre.
— Reste tranquille, lui ordonnai-je à mon tour.
Personne ne savait se figer comme lui. Fermant les yeux, il se pétrifia, sculpture offerte à ma curiosité. J’allai à sa découverte encore plus lentement qu’il ne l’avait fait avec moi, veillant à réfréner ma passion. Je caressai sa joue, effleurai ses paupières et les ombres violacées de ses cernes. Je suivis le tracé de son nez parfait puis, encore plus prudemment, de ses lèvres au dessin magnifique. Elles s’entrouvrirent, et je sentis son haleine fraîche sur le bout de mes doigts. J’avais envie de me pencher dessus, d’inhaler son arôme. Aussi, je retirai ma main et reculai, soucieuse de pas dépasser les limites. Il rouvrit les yeux, son regard était affamé. Pas de manière à m’effrayer, plutôt à déclencher un spasme au fond de mon ventre et à affoler mon pouls une fois de plus.
— J’aimerais tant, murmura-t-il, j’aimerais tant que tu sentes la... complexité... la confusion... que j’éprouve. Que tu comprennes.
Il repoussa soigneusement mes cheveux.
— Explique-moi, soufflai-je.
— Je ne pense pas y parvenir. Je t’ai déjà dit, d’un côté, la faim – la soif – que, déplorable créature, je ressens pour toi. Je crois que tu saisis ça, jusqu’à un certain point. Mais, comme tu n’es pas accro à une substance illégale quelconque, ton empathie ne peut être complète. D’autres faims me dévorent, cependant. Des pulsions qui m’échappent, même à moi. Qui me sont étrangères.
— Tout ça m’est beaucoup plus familier que tu ne le penses.
— Je ne suis pas habitué aux émotions humaines. Est-ce toujours ainsi ?
— Pour moi ? Non, c’est la première fois.
Il prit mes mains. Elles me parurent si faibles dans l’étau des siennes.
— J’ignore comment être proche de toi, reconnut-il. Je ne suis pas sûr de le pouvoir.
Mes yeux plantés dans les siens pour ne pas l’affoler, je me penchai en avant, très lentement, et plaçai ma joue contre son torse de pierre. Je l’entendis respirer, rien d’autre.
— Cela me suffit, chuchotai-je en fermant les paupières.
En un geste très humain, il m’enlaça et plongea son visage dans mes cheveux.
— Tu te débrouilles bien mieux que ce que tu prétends, fis-je remarquer.
— Je conserve de très vieux instincts. Ils sont peut-être enfouis très profondément, mais ils existent.
Nous restâmes assis ainsi un autre long moment. Était-il aussi réticent que moi à bouger ? La lumière faiblissait, cependant, et les ombres de la forêt commençaient à nous atteindre. Je soupirai.
— Tu dois rentrer.
— Je croyais que tu ne pouvais lire dans mes pensées.
— Elles me deviennent de plus en plus claires.
La gaieté illuminait sa voix. Il m’attrapa par les épaules.
— Puis-je te montrer quelque chose ? demanda-t-il, soudain enjoué.
— Quoi ?
— Comment je me déplace dans les bois. Ne t’inquiète pas, s’empressa-t-il de préciser devant ma réticence, tu n’as rien à craindre et nous serons à la camionnette drôlement plus vite.
Sa bouche se tordit en ce sourire en coin si craquant, et mon cœur eut un raté.
— Tu vas te transformer en chauve-souris ? m’enquis-je, pas très rassurée.
Il partit d’un éclat de rire tonitruant.
— Celle-là, ce n’est pas la première fois qu’on me la sert.
— Tu parles ! Comme si les gens osaient.
— Allez, trouillarde, grimpe sur mon dos.
Je crus qu’il plaisantait mais, apparemment, non. Mes hésitations l’amusèrent, et il tendit la main. Mon rythme cardiaque s’affola. Même si Edward ne pouvait lire dans mes pensées, mon pouls me trahissait toujours. Il m’aida à m’installer et cramponna mes jambes et mes bras si férocement autour de lui qu’un être normal se serait étouffé. J’eus l’impression de chevaucher un roc.
— Je pèse un peu plus que le sac à dos moyen, le prévins-je.
Il balaya mon avertissement d’un revers insouciant de la main. Jamais il n’avait été aussi heureux. Soudain, il attrapa ma paume, la pressa contre son nez et respira profondément.
— De plus en plus facile, marmonna-t-il.
Alors, il se mit à courir.
Si j’avais déjà eu peur de mourir en sa présence, ce n’était rien par rapport à ce que je ressentis alors. Il fila comme un boulet de canon à travers le sous-bois épais et sombre. Il était fantomatique : aucun bruit ne prouvait que ses pieds touchaient le sol, et sa respiration ne changea pas, à croire qu’il ne fournissait aucun effort. Pourtant, les arbres défilaient à une vitesse affolante, nous rasant de près. J’étais trop terrifiée pour fermer les yeux, en dépit du courant d’air froid qui me giflait et m’arrachait des larmes brûlantes. J’eus la bête impression d’avoir passé la tête par le hublot d’un avion en plein vol. Et, pour la première fois de ma vie, je ressentis la faiblesse nauséeuse du mal des transports.
Tout à coup, ce fut terminé. Alors que nous avions mis des heures le matin à atteindre la clairière, nous étions revenus à la Chevrolet en quelques minutes.
— Génial, hein ? s’exclama-t-il, hilare.
Immobile, il attendait que je descende. J’essayai bien, mais mes muscles ne répondirent pas. Mes bras et mes jambes restèrent enroulés autour de lui, tandis que la tête me tournait désagréablement.
— Bella ? demanda-t-il, anxieux.
— J’ai besoin de m’allonger, je crois.
— Oh, navré.
Il patienta. Malheureusement, j’étais toujours aussi incapable de me mouvoir.
— J’ai aussi besoin d’aide, avouai-je.
Il étouffa un rire, puis délaça doucement mes mains qui étranglaient son cou. La force d’airain de ses poignets était implacable. Il me fit glisser devant lui, me prenant dans ses bras comme un bébé, m’y gardant quelques instants avant de m’étendre délicatement sur des fougères moelleuses.
— Comment te sens-tu ?
J’avais tellement le tournis que je n’en savais fichtrement rien.
— Nauséeuse.
— Mets ta tête entre tes genoux.
J’obéis et ne tardai pas à être un peu soulagée. Je respirai lentement. Il s’assit près de moi. Au bout d’un moment, je m’aperçus que je pouvais relever la tête. Une sonnerie stridente résonnait dans mes oreilles.
— Ce n’était pas une très bonne idée, murmura-t-il, penaud.
— Au contraire, c’était une expérience très intéressante, tentai-je de le rassurer d’une voix faiblarde.
— Ha ! Tu es blanche comme un linge... Pire, même. Comme moi !
— J’aurais dû fermer les yeux.
— Rappelle-t’en, la prochaine fois.
— Pardon ?
Il s’esclaffa, ravi.
— Frimeur, ronchonnai-je.
— Regarde-moi, Bella, chuchota-t-il.
Son visage était tout près du mien. Sa beauté m’étourdit – c’était trop, un excès auquel je ne m’accoutumais pas.
— En chemin, je réfléchissais...
— À la meilleure façon d’éviter les arbres, j’espère.
— Petite sotte. Courir est une deuxième nature chez moi. Je n’ai pas besoin d’y penser.
— Frimeur, répétai-je.
— Non, enchaîna-t-il en souriant, je réfléchissais à un truc que j’ai envie d’essayer.
Sur ce, il reprit mon visage entre ses mains en coupe. J’arrêtai de respirer. Il hésita – pas d’une façon normale, pas d’une façon humaine, pas comme un homme pourrait tergiverser avant d’embrasser une femme, afin de jauger sa réaction, de voir comment elle va le prendre. Ou pour prolonger l’instant, ce moment parfait d’anticipation, parfois meilleur que le baiser lui-même. Edward, lui, hésita pour se tester, pour vérifier que c’était sans danger, qu’il contrôlait sa soif. Puis ses lèvres de marbre froid se posèrent tout doucement sur les miennes.
Ce à quoi ni lui ni moi n’étions prêts, ce fut ma réaction.
Mon sang bouillonna sous ma peau, incendia ma bouche. Mon souffle devint heurté et erratique. Mes doigts agrippèrent ses cheveux, collant sa tête contre la mienne. Mes lèvres s’ouvrirent, et j’inhalai à fond son odeur capiteuse. Aussitôt, il se pétrifia. Ses mains, douces mais fermes, me repoussèrent. Rouvrant les yeux, je vis qu’il était sur ses gardes.
— Houps !
— Comme tu dis.
Un éclat sauvage illuminait ses pupilles, sa mâchoire était crispée. Il tenait mon visage ébloui à quelques centimètres du sien.
— Dois-je...
Je voulus m’éloigner. Ses mains refusèrent de me lâcher.
— Non, c’est supportable. Une minute, s’il te plaît.
Il était poli, maître de lui. Je continuai de le contempler, observant ses iris s’adoucir peu à peu. Il m’adressa un sourire étonnamment espiègle.
— Et voilà, annonça-t-il, visiblement très satisfait de lui.
— Supportable ?
— Je suis plus fort que je ne le pensais. Ça fait plaisir de l’apprendre.
— J’aimerais pouvoir en dire autant de moi-même. Navrée.
— Je te pardonne. Tu n’es qu’une humaine, après tout.
— Merci du compliment.
Il se remit debout en un de ces mouvements fluides et presque invisibles dont il avait le don. Il me tendit la main, ce qui me surprit. J’étais tellement habituée à notre tacite et prudente absence de contacts. J’attrapai sa paume glacée – cette aide était la bienvenue, car je titubais, n’ayant toujours pas retrouvé mon équilibre.
— C’est encore la course ou dois-je le mettre sur le compte de mon habileté à embrasser ?
Comme il sembla humain en cet instant d’allégresse où sa physionomie séraphique respirait la joie. Ce n’était pas le même Edward que celui que j’avais connu. Et j’en étais encore plus entichée. Me séparer de lui me serait désormais physiquement douloureux.
— Un peu des deux, j’imagine.
— Mieux vaut que je prenne le volant, alors.
— Ça va pas la tête ?
— Je conduis mieux que toi dans tes meilleurs jours, railla-t-il. Tes réflexes sont si lents !
— J’en suis convaincue, mais ni mes nerfs ni ma camionnette n’y résisteront.
— Fais-moi confiance, Bella, s’il te plaît.
Dans ma poche, mes doigts se serrèrent autour de mes clés.
— Pas question, finis-je par décider.
Incrédule, il leva les sourcils. Le contournant, je me dirigeai vers la portière conducteur. Il m’aurait peut-être laissée passer si je n’avais pas vaguement titubé. Quoique... rien n’est moins sûr. Son bras s’enroula autour de ma taille, m’emprisonnant fermement.
— Bella, j’ai dépensé beaucoup d’énergie pour te garder en vie aujourd’hui. Je n’ai pas l’intention de te laisser conduire alors que tu n’arrives même pas à marcher droit. Et puis, tu t’es vue quand t’a bu ? cita-t-il en ricanant.
Un arôme insupportablement alléchant émanait de son torse.
— Bu, moi ? protestai-je.
— Ma seule présence t’intoxique, persifla-t-il.
— Voilà un argument que je ne peux guère réfuter, soupirai-je.
Je n’avais pas le choix. J’étais incapable de lui refuser quoi que ce soit. Je brandis les clés, sa main blanche s’en empara à la vitesse de l’éclair, sans bruit.
— Vas-y doucement, l’avertis-je, ma voiture est une dame du troisième âge.
— Très juste.
— Et toi, lançai-je, agacée, tu n’es pas affecté par ma présence ?
Une fois encore, ses traits si mobiles se transformèrent, et une douceur chaleureuse envahit son visage. D’abord, il ne répondit pas. Il se contenta de se pencher vers moi et de promener ses lèvres le long de ma mâchoire, de mon oreille à mon menton, à plusieurs reprises. Je tressaillis.
— Quand bien même se serait le cas, murmura-t-il enfin, il n’en reste pas moins que j’ai de meilleurs réflexes.